Par Michel Touraille
Dès les premières pages, chacun dedans son corps, corps dans un fauteuil, fauteuils dans un petit salon, une femme et un homme, jeunes, tuent le temps, échangent dans le calme - faux calme - car suintent dans la banalité des paroles, une vacuité brouillée. Si leurs mots recouvrent des choses et si ces choses ont une existence dans la réalité, s’expriment aussi des opinions séparées, parfois rudes, sur les proches : amis, parents. Petit exutoire.
Ailleurs niche le vrai malaise : une absence, un manque concret, qui les démunit, tend leurs échanges décousus, brusque les initiatives, accouche de riens. En miroir biseauté, Hélène et Morris, se voient.
Pour nous, se présente un jeune couple, marié, deux ans de vie commune. Lui travaille comme intérimaire et il écrit ; elle est comédienne, court les castings. Ce soir-là, tout manque : du poulet pour la faim, le vaporisateur, rien à la télé, un exta pour elle, un litron pour deux : de quoi béquiller la vie. Et voilà la lune, splendide, qui s’invite. Elle serait bienvenue pour qui aurait l’esprit en paix, une source en soi. Elle espionne, que veut-elle savoir ? du " couple sans enfant qui fait rien."
Morris : " Je suis azoosperme sécrétoire. Je ne fabrique pas de spermatozoïde."
Hélène biaise, rappelle un souvenir en compagnie de Gladys, sa copine "ce qu’on a pu s’empiffrer comme gâteaux des rois...Se remplir le ventre." Voilà, impérieux, lové au creux d’elle, le désir d’enfant. A lui, en situation, elle demande l’impossible. " Regarde ce ventre. Tu n’as pas envie de le voir grossir ?"
Morris : " Ce que tu demandes n’est pas possible."
Hélène : " Tu ne comprends pas ce que je te demande." La lune s’assombrit.
A mi-parcours de la pièce, ils vont remonter le temps, retrouver des sensations, se disputer, parler d’amour, s’agresser... _ elle mène la danse, _ chercher assistance pour cet endettement de l’être tendu vers des substituts, drogues, évasions érotiques.
Morris, éperdu, surenchérira avec la proposition du club échangiste, le jeu du couteau à huîtres. Elle touche son ventre : " Tu as vu comme il est plat ? C’est désertique. Aride. Sec. On peut rien faire avec du sperme faible ".
Lui : " Tu me donnes du stress et le stress me donne envie d’aller voir les putes." Qui a écrit : la vraie tragédie de la vie est la guerre intime que se font les gens qui s’aiment ? Eux sont dedans, même si la violence, à crêtes acérées, semble comme amortie. C’est une qualité de la pièce, les faux rythmes, les tensions, les pannes d’être. Comme si toutes les interrogations tendues d’Hélène articulaient les séquences, sculptaient la durée : " Tu sais ce que je serai prête à faire ce soir ?... Regarde ce ventre. Tu n’as pas envie de le voir grossir ?... Qu’est-ce que tu veux faire de ta vie ?... Est-ce que tu as les couilles pour ça ?... Non, tu ne me fais pas jouir. Pas avec ta queue." Si on tord le cou au mensonge " tout fait naufrage.
La pièce de Lionel Parrini exprime continûment une grande sincérité, on pourrait imaginer que cette fiction théâtrale est la tentative de résolution à chaud d’un vrai drame intime. SECHERESSE : ni drame, ni comédie dramatique, c’est tragique.
Une initiative bienvenue, judicieuse sur la sécheresse, pages 38 à 40 : l’intervention voix off de la télévision : l’auteur introduit la globalité du monde physique dans le huis-clos (faibles précipitations à l’échelle d’un continent ) pour revenir au physiologique (sécheresse vaginale, sécheresse oculaire) pour finir sur le spirituel ( la sécheresse spirituelle)